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Eugène IONESCO
Eugène Ionesco nait en 1912, en Roumanie, d'un père roumain et d'une mère française. Il vit en France de 1913 à 1925, puis retourne dans son pays natal, avant de se fixer définitivement à Paris à partir de la seconde guerre mondiale.
Il se fait connaitre au théatre par La Cantatrice chauve (1950) puis par La Leçon. Ses oeuvres dénoncent tous les conformismes, moraux, idéologiques, à travers un emploi stéréotypé du langage. Son théatre met en scène le vide, l'absurdité du monde. À des passages comiques, à force d'être dénués de sens, répond une méditation très sombre sur la condition humaine marquée par la mort et la solitude, dont rend compte une pièce comme Le Roi se meurt. Ionesco s'est également attaché à démonter les mécanismes qui permettent à certaines idéologies de s'imposer. La pièce Rhinocéros, jouée en 1960, met en scène métaphoriquement les habitants d'une petite ville, troublés par l'arrivée de rhinocéros et changés peu à peu en cet animal.
Eugène Ionesco a été élu à l'Académie française en 1970. Sa pièce La Cantatrice chauve n'a cessé d'être à l'affiche d'un théatre parisien (La Huchette) depuis 1957. À travers cette notoriété, c'est tout le théatre de l'absurde qui se trouve reconnu.
Eugène Ionesco nait à Slatina en Roumanie le 26 novembre 1909. Il passe son enfance en France, à Paris, puis se rend à Bucarest en 1925. Il y collabore à des revues littéraires avant de retourner en France juste avant la guerre. Ses premières pièces (la Cantatrice Chauve, la Leçon, les Chaises) sont des échecs, qui ne rencontreront le succès que lors de leurs reprises en 1957. Tout le long de sa carrière, il alterne pièces et conférences sur le théatre. Il entre à l'Académie Française en 1970. Lauréat de nombreux prix et décorations dans le monde entier, il s'engage tout particulièrement dans la défense des Droits de l'Homme. Il meurt le 28 mars 1994 à Paris. Le théatre de Ionesco est celui de la dérision et de la parodie : il va à contre-courant du langage théatral traditionnel, qu'il démonte. Selon lui, le langage échoue à remplir sa fonction de communication, et il est, conjointement avec 'l'ordre social', une source d'aliénation pour l'homme. Le réel, prisonnier de conventions factices, doit s'enrichir de l'absurde, du fantastique et de la libre expression subjective des êtres. Au fil de ses pièces, il s'attaque à des sujets très divers : les contraintes du mariage avec Victimes du devoir et Amédée, la violence avec Tueur sans gages, le totalitarisme avec Rhinocéros, et la mort avec Le roi se meurt. Avec l'age, il aborde les thèmes métaphysiques (La Soif et la Faim, Jeux de massacre). Outre son oeuvre de dramaturge, Ionesco nous a laissé des nouvelles, romans et essais dont les fameuses Notes et contre-notes en 1963. |
LA PIèCE
QUESTION :
Qu'est-ce qui pourrait mettre d'accord
une ménagère
hystérique,
une serveuse ridicule,
un épicier opportuniste et sa femme acariatre,
un logicien professionnel,
un employé maniaque,
un ancien fonctionnaire coureur de jupons,
une secrétaire modèle
et un alcoolique neurasthénique,
sur la place publique un dimanche matin ?
REPONSE :
Le passage fracassant d'un rhinocéros
« Il y a tout de même eu un chat écrasé »
et ce ne sera pas le dernier des soucis
de cette ville où tout aurait pu couler de source.
Certains diront que monter du Ionesco, c'est choisir la simplicité : en effet, les ouvertures possibles en terme d'interprétation du texte sont nombreuses. On se dirait facilement que tout y est permis
On imagine un ensemble d'acteurs divaguant sur le flot des répliques insolites, s'autorisant tous les débordements que la réalité empêche Quelle sinécure !
Mais l'insolite n'implique pas l'anarchie ; chacun de ses détails doit correspondre à un ensemble, une nouvelle réalité, imaginée de toute pièce !
Nous étions des interprètes, avec Rhinocéros, nous nous sommes offert la possibilité de composer, de 'créer' tout en suivant la rassurante écriture d'un auteur dont le talent n'est plus à démontrer.
La société que présente Ionesco est autre. Elle est devenue la nôtre tout au long de cette année. Amenés à réfléchir sur l'identité du rhinocéros, nous l'avons rencontré dans un univers léger, superficiel, stéréotypé à souhait, avec de petites personnes et de grands esprits. Qu'est-il sinon la résignation du quotidien, la paresse de réfléchir, la soumission qui décharge du souci de décider ? C'est l'animal qui sommeille en chacun de nous, avec ses instincts faciles. Mais la facilité, la soumission peuvent augurer du pire
Ce monde hanté par les rhinocéros est presque semblable au nôtre, avec ses différences et ses indifférences, ses fous et ses sages, ses révoltes et ses soumissions. Il en serait le reflet s'il n'y avait ce presque : n'oublions jamais qu'il existe un homme grand en chacun de nous, un homme avec la faculté de penser autrement et la volonté d'agir. Ce n'est pas notre monde et souhaitons que cela ne le devienne jamais.
Le sens de la vie dans Rhinocéros de Ionesco
La pièce Rhinocéros, écrite par le dramaturge absurdiste Eugène Ionesco, reflète une vision qui tient l'univers pour définitivement insensé, irrationnel et absurde. Dans son essai 'Notes et contre-notes', Ionesco écrit :'Je me vois déchiré par des forces aveugles, montant du plus profond de moi, s'opposant en un conflit désespérant, sans issue . . . je ne puis évidemment pas savoir qui je suis, ni pourquoi je suis.' Ionesco écrit ses pièces pour faire état de ses conflits intérieurs avec ce qu'il voit comme un univers incompréhensible, et exprimer également ses difficultés à accepter sa propre existence. Il affirme, à propos de son oeuvre théatrale: 'Je tache de projeter sur scène un drame intérieur. . . Je ne veux que traduire l'invraisemblable et l'insolite, mon univers.' (Notes et contre-notes). Dans sa pièce Rhinocéros, Ionesco révèle ses craintes en la barbarie latente dans le coeur humain et, à travers le personnage de Bérenger, il se projette aussi lui-même avec ses propres conflits dans sa pièce. Pour représenter clairement ses thèses, Ionesco utilise nombre de techniques dramatiques originales. A travers celles-ci, Ionesco présente une peinture visuelle des conflits existentiels sous-jacents de la pièce. Les divers éléments dramatiques et thématiques de l'oeuvre se combinent pour former une image du monde intérieur chaotique et incohérent de Ionesco.
Une méthode par laquelle Ionesco communique ses thèmes est l'absurdité des personnages (en dehors de Bérenger) dans les premier et second actes. Ce ridicule apparait particulièrement à travers leurs réactions face aux deux rhinocéros qui passent à toute allure devant le bistrot, au premier acte. Les gens disent, presque simultanément, 'Oh, un rhinocéros!' puis 'Ça alors !' Leurs commentaires sont tous très similaires, et ils semblent incapables de formuler des réflexions originales. Nous voyons déjà à ce point de la pièce quelque chose d'un 'esprit de masse' à l'oeuvre, dans lequel chacun répète sans réfléchir les mots et les actes d'un autre. Au fil du dialogue il devient clair que personne ne voit dans les rhinocéros des présages d'une tendance à venir ou ne saisit la signification derrière leur apparence. Après avoir vu le premier rhinocéros, la Ménagère panique, déboule sur la scène et lache son panier de provisions. La femme de l'Epicier voit le rhinocéros uniquement comme un instrument de vengeance contre la Ménagère qui n'achète pas chez eux. Le Vieux Monsieur affiche seulement un intérêt passager pour le rhinocéros. Il est surtout intéressé à gagner l'affection de la Ménagère en l'aidant à rassembler ses provisions éparpillées. (Tandis qu'elle finit de tout ramasser et s'apprête à partir, il propose de l'accomner.) Après que le second rhinocéros a écrasé le chat de la Ménagère, celle-ci entame un deuil pitoyable qui se poursuit jusqu'à ce que le Logicien énonce le problème du rhinocéros à la fin du premier acte. Ces personnages périphériques, déterminés, sont incapables de comprendre la signification des rhinocéros, et c'est ce manque de réflexion qui assure leur transformation finale.
En plus de ridiculiser l'étroitesse de vue des personnages, Ionesco tourne en dérision ceux d'entre eux qui ont des prétentions à la sensibilité et à la logique. Leur raisonnement n'est rien qu'une farce, rendue dans certains cas plus ridicule encore par la croyance égotiste en leur propre supériorité intellectuelle. Ce groupe de personnages consiste principalement en Botard et le Logicien. Le Logicien est considéré comme la personne la plus sage et la plus raisonnable parmi les personnages du premier acte, et tous se tournent vers lui pour résoudre leur débat sur le rhinocéros. Ses réponses à leurs questions, en plus de sa précédente 'démonstration' que Socrate était un chat, révèlent l'inanité de ses propositions logiques. Botard, bien qu'il ne soit pas autant estimé de ses collègues, s'enorgueillit de son 'esprit méthodique ,' et s'attache à une vision précise, scientifique de la vie. Il méprise les rumeurs sur les rhinocéros et les attribue à l'imagination des journalistes. Même après avoir vu un rhinocéros, Botard affirme : 'Je ne vois rien du tout. C'est une illusion.' . Lorsqu'il devient tout à fait clair que Botard avait tort, il nie avoir jamais douté de l'existence des rhinocéros. Il prétend avoir suivi le problème depuis le début, et il affirme en outre savoir qui est responsable. Il refuse d'admettre ses erreurs, et il se contredit en lançant des accusations totalement infondées, pour éviter d'avoir à le faire. A travers l'illogisme de Botard et du Logicien, Ionesco propose sa thèse que le raisonnement humain, en dépit de ses prétentions au contraire, est essentiellement absurde. Son monde intérieur est irrationnel et absurde, et Ionesco ne distingue aucun ensemble primordial de règles logiques liant l'univers en un tout compréhensible. D'après Ionesco, le raisonnement humain est incapable d'apporter de l'ordre au monde car il ne se ramène à rien de plus que des inepties.
Ainsi, Ionesco introduit ses thèmes par le biais de l'interaction entre tous les personnages, qui se révèlent complètement irrationnels. Un autre support dont Ionesco se sert pour véhiculer ses idées est le personnage de Bérenger. Les luttes de Bérenger avec la vie reflètent celles de Ionesco lui-même. Lui, bien plus que n'importe quel autre personnage, perçoit la réalité de la vie, et il boit pour fuir cette vision. Dans la première scène surtout, Bérenger semble déconnecté des évènements se produisant autour de lui. Il accorde peu d'attention au premier rhinocéros, et donne l'impression d'être généralement incohérent. Lorsqu'on le presse de se prononcer sur la provenance du rhinocéros, Bérenger lache finalement: 'Peut-être s'est-il abrité sous un caillou? . . . Peut-être a-t-il fait son nid sur une branche desséchée?'. Bérenger se révèle en même temps détaché et désintéressé de la vie en général. il dit à son ami Jean que 'la vie est un rêve', et il affirme plus loin : 'Je me demande moi-même si j'existe!'. De tels soucis existentialistes reflètent l'intérêt de Ionesco pour les problèmes physiques de sa propre existence.
Bérenger représente Ionesco également sur d'autres points. Comme Ionesco, il cherche un sens et une vérité définitifs à la vie. Bérenger admire ses amis, surtout Jean, et s'adresse à eux pour trouver ce qu'il cherche. Il ne peut les comprendre car ils sont insensés et ineptes, mais il présume qu'ils sont trop sages et bien avisés pour qu'il les comprenne. Il sait qu'il n'a pas trouvé de vérité ultime à la vie, mais il s'imagine que s'il pouvait devenir intelligent comme le Logicien ou cultivé comme Jean, il trouverait ce qu'il cherche. Son admiration envers ses amis fournit des indices sur la raison pour laquelle il est tellement scandalisé quand ils commencent à se transformer en rhinocéros. Il a confiance en eux, et il s'efforce de devenir comme eux. Quand ils deviennent rhinocéros, Bérenger est déçu et éprouve le sentiment d'une trahison personnelle. Il dit, après la mutation de Jean en rhinocéros, 'Jamais je n'aurais cru ça de lui, jamais!'. Bérenger ne peut comprendre la raison de la transformation de Jean, et il tente de la rationnaliser en affirmant que Jean a eu 'un accès de folie'. Bérenger est particulièrement affolé quand le Logicien se transforme parce qu'il pense que le Logicien aurait pu prouver à Dudard que les rhinocéros sont intrinsèquement mauvais et pas seulement un phénomène naturel. Le monde de Bérenger s'obscurcit d'un cauchemar envahissant tandis que ses amis succombent un à un aux rhinocéros. Sa foi en la raison, la culture et enfin l'amour est lentement mais inexorablement anéantie. Il se retrouve de la sorte seul, abandonné dans un univers hostile et incompréhensible.
En dehors des éléments de base de l'intrigue, Ionesco utilise beaucoup de techniques dramatiques non traditionelles pour mettre en scène l'absurdité de la vie. La plus évidente est l'emploi du rhinocéros en tant que métaphore de la barbarie essentielle des êtres humains, et aussi de l'absurdité de l'univers. A l'époque où cette pièce fut écrite, on n'aurait pas employé en dramaturgie une image aussi sauvage et brutale que le rhinocéros. Le rhinocéros contraste violemment avec les images de beauté et de noblesse qui caractérisaient les pièces des époques antérieures. Plusieurs objets matériels différents tombent ou sont détruits dans la pièce, ajoutant à l'effet visuel violent des rhinocéros. Par exemple, le chat de la Ménagère est écrasé, et Bérenger passe à travers le mur lorsqu'il fuit l'appartement de Jean. De même, le dialogue logique et ordonné est écarté dans la première scène, et les conversations intercalées contribuent à donner l'impression de chaos. Ionesco use de telles techniques pour donner l'expression sensorielle de son propre trouble intérieur.
Comme nous l'avons vu, les thèmes de Rhinocéros sont présentés à travers les techniques dramatiques et rhétoriques, l'absurdité des personnages secondaires, et les luttes existentielles du rôle principal, Bérenger. Inexorablement, les croyances et les espoirs de Bérenger pour se corriger sont battues en brèche, et finalement il ne lui reste rien d'autre à faire que crier son défi contre un monde hostile. Il est incapable de trouver un sens définitif à la vie car, d'après Ionesco, il n'y a aucun sens à lui trouver.
Cette pièce comporte 17 personnages, un chat et des rhinocéros, que l'on peut classer en quatre catégories en fonction de leur caractère : Ø Les personnages sans nom (la Ménagère, la Serveuse, l'Epicier) permettent d'inscrire l'intrigue dans le cadre d'une réalité anonyme. Ø Les noms d'animaux (Monsieur Papillon, Madame Boeuf, Dudard) sont ceux de personnages sérieux, dont le patronyme évoque ironiquement l'animalité. Ø Les noms propres codés qui contiennent un jeu de mot révélateur : Jean : incarnation du conformiste, il représente les 'gens', le 'on' indifférencié ; Bérenger : c'est l'homme en proie à l'angoisse, celui qui est 'dérangé'; Daisy : image de la femme, du désir ; Botard : l'esprit sceptique deviendra un militant, comme l'annoncent des lettres du mot 'botte' dans son nom. Ø Les animaux : le chat représente les minorités, premières victimes de toute dictature, les rhinocéros sont la masse uniforme qui écrase. Elle se révèle bientôt composée d'êtres humains qui ont renoncé à l'apparence humaine et à la liberté d'esprit. |
Chacun des personnages a un rapport particulier avec la parole. Monsieur Papillon, le Logicien, Jean et Botard expriment des vérités généralement creuses. Le Vieux Monsieur, Daisy, Bérenger et la Ménagère traduisent par leur discours une certaine volonté de communiquer, à rester dans le monde humain.
Le personnage principal semble être Bérenger, l'anti-héros, homme inadapté à tout ordre (il est alcoolique et paresseux), se différenciant des autres dans l'utilisation du langage. Cependant, au vu du titre et de l'importance des rhinocéros, on peut penser que ce sont eux qui détiennent le premier rôle dans la pièce.
Eugène Ionesco est le représentant le plus célèbre et le
plus fécond du Nouveau Théatre, celui de l'absurde et de la dérision. Ses
pièces décrivent un univers simple et familier qui explore les réalités
de la condition humaine et cherche à communiquer ses états d'ame.
Ce n'est que dans les années cinquante que Ionesco écrit sa première
pièce, malgré la répugnance qu'il éprouve à cette époque pour le
théatre : La Cantatrice Chauve (1950).
Ses œuvres sont remplies d'attaques contre 'la petite bourgeoisie universelle, le petit-bourgeois étant l'homme des idées reçues, des slogans, le conformiste de partout'.
Ionesco a fait du jeu de langage son premier héros, le renouvelant sans cesse en même temps que se développe le sentiment de l'absurde que l'on retrouve dans toute son œuvre. Ce jeu du langage dénonce le conformiste de la vie quotidienne qui rend l'individu impersonnel et de là peut être, aussi, inexistant. Le tragique dissimulé dans la Cantatrice Chauve se révèle dans l'utilisation du langage comme un instrument de puissance (dans la Leçon, 1951) ; l'action devient plus violente à mesure que celui-ci prend force chez un personnage pour s'imposer aux autres.
Ionesco joue également avec le thème de la prolifération, d'abord de lieux communs dans le langage, ensuite des objets eux-mêmes, jusqu'à l'étouffement (Les chaises, 1952 ; Amédée, 1954). Ce thème cerne avec violence la solitude humaine (l'accumulation de choses pour oublier l'absence des autres).
Ionesco s'oriente un peu plus tard vers le théatre de dénonciation sociale en se référant aux totalitarisme qui transforment les individus en tuant la communication (Le Rhinocéros, 1959). L'angoisse prend alors de plus en plus d'ampleur dans le théatre ionescien, qui ressemble dans les derniers écrits les thèmes de l'oubli, de l'ennui et de la mort (Le Roi se meurt, 1963 ; Jeu de massacre, 1970 ; Macbeth, 1972 ; l'Homme à la valise, 1975 ; Voyage chez les morts, 1980).
Ionesco livre pourtant un théatre poétique où l'humour des mots confond le tragique de propos cinglants et de personnages enfermés dans leur quotidien.
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